C’est un public majoritairement féminin qui se presse dans la petite salle de la Comédie des Boulevards à Paris pour découvrir Chatons violents, le nouveau spectacle satirique d’Océanerosemarie. Normal, mais ce déséquilibre ne devrait pas durer. Cette chanteuse (Oshen) devenue comédienne s’est fait connaître sur les planches en 2009 grâce à La Lesbienne invisible, son précédent et premier one woman show, sorte de coming out joyeux et décomplexé d’une homosexuelle que personne ne croit homosexuelle parce qu'issue de bonne famille et préférant le rouge à lèvres à la coupe garçonne.
Après 550 représentations et 40 000 spectateurs, Océanerosemarie pensait en rester là, finaliser l’adaptation cinématographique de son show et poursuivre ses chroniques radiophoniques. "J’étais persuadée que j'avais dit tout ce que j’avais sur le cœur et que mon militantisme se limiterait à la cause homo ", explique cette trentenaire parisienne, en buvant une bière dans un bar du 19e arrondissement.
Fibre militante
Mais l'omniprésence médiatique de la Manif pour tous et le renoncement du gouvernement sur l'accès à la PMA (procréation médicale assistée) pour les couples de même sexe ont de nouveau réveillé sa fibre militante et son envie de monter sur scène. "Ce spectacle est venu à moi", raconte Océanerosemarie. Cette jeune femme pétulante a grandi dans un milieu "gauche caviar" - mère prof à Sciences-Po, père ancien séminariste devenu éditeur de musique. Quand elle a pris conscience que ce n'était pas seulement les bourgeois de droite de la rive gauche mais aussi les bobos de gauche de la rive droite qui considéraient que le droit au mariage était déjà bien suffisant pour les homos, ses "valeurs" se sont, dit-elle, "effritées ". Elle qui s’était engagée pendant la campagne présidentielle en faveur de François Hollande s’est sentie "trahie" par son propre camp parce qu’on ne parlait plus de droits mais de morale. "Je n'ai pas supporté cette hypocrisie et j'ai eu envie d'être dans un débat plus politique." Et sociologique.
Se moquer de son propre milieu
Alors, en pasionaria du vivre ensemble, elle a écrit Chatons violents et inventé le concept de BBB comme "bon blanc bobo", pour aboutir à une satire bien léchée.
Chatons violents parce qu'à défaut d'avoir des enfants, Océanerosemarie a adopté des chats. C'est sa femme qui en a voulu. Par amour, elle a dit oui et s'est prise d'affection pour ces petites bêtes. Et BBB pour se moquer de son propre milieu social ; renvoyer les bien-pensants – qui sirotent un mojito à une terrasse du canal Saint-Martin, font leurs courses à Biocoop et trouvent superpratique de déguster des sushis hors de prix à domicile - à leurs réflexes communautaires et à leur certitude de savoir mieux que tout le monde ce qui est bien pour les autres. "Bobo était un terme trop soft et insuffisant, il fallait aller plus loin dans la définition", insiste-t-elle.
La communauté des BBB
"J'ai éprouvé le besoin de rappeler aux BBB qu'ils constituent eux aussi une communauté et qu'ils se donnent bonne conscience, en s'estimant modernes et d'avant-garde, tout en voulant garder leurs privilèges", résume-t-elle avec force. Ce microcosme puissant et influent de la société française, persuadé que les valeurs qu'il défend sont supérieures aux autres, renferme, à ses yeux, une violence intrinsèque. "Je ne jette pas la pierre, j'en fais partie ; je veux juste qu'on admette cet entre-soi, ce manque d'humilité et cette culpabilité de surface." Quintessence de la BBB selon Océanerosemarie ? Caroline Fourest, parce que l'essayiste "ne supporte pas la critique", mène un combat contre le racisme mais est "hyper sectaire et obsédée par l'islam". Les "athées intégristes" façon Nicolas Bedos lors de sa dernière chronique sur le plateau d'On n'est pas couché la mettent "hyper en colère" parce qu'ils "écument les clichés".
C’est, dit-elle, son homosexualité qui lui a permis de porter un regard critique sur tous les BBB qui l’entourent et notamment sur leur relation aux autres. Entre l'inquiétude de sa mère (qui lui faisait comprendre que c'était moins bien d'être homo qu'hétéro), les mecs dans les soirées qui lui demandent "il t'est arrivé quelque chose ?", comme si une lesbienne était forcement une victime, et tous ceux qui ne comprennent pas comment "une fille comme elle" peut aimer les filles, elle a ressenti une forme de stigmatisation et souffert de la normativité du regard social.
Sincère et politiquement incorrect
Voilà pour l’explication. Le résultat sur scène est plutôt convaincant, polémique à souhait et franchement drôle. Après un début en forme de rappel de la "lesbienne invisible", avec scène de ménage ordinaire ("quand une femme est avec une femme la répartition des tâches domestiques est beaucoup plus compliquée, on a pas l'argument du féminisme") et un développement un peu longuet sur la vie quotidienne des chats (mais bon, apparemment, les chats passionnent beaucoup de monde), Océancerosemarie nous embarque, avec une énergie communicative, dans tous les travers des BBB.
Ils prennent un "kif de mixité sociale" à Montreuil mais optent pour le collège privé, ils n'aiment pas les religions mais sacralisent la laïcité, ils s’extasient devant le spectacle Exhibit B - qui met en scène douze tableaux vivants reproduisant les "zoos humains" de la fin du XIXe siècle - mais ne comprennent pas "ces noirs qui manifestent, des ignares" contre une "œuvre aussi forte". C'est bien écrit, bien incarné, enlevé, sincère et politiquement incorrect. Dans la salle, les BBB bousculés dans leur manière de vivre et de penser, rient de bon cœur. Les provocations d'Océanerosemarie (ses trois vrais prénoms qu'elle a collés à jamais) sur le "racisme de gauche" pourraient - et ce serait son cauchemar - plaire aux gens de droite.
Une chouette fille
Dommage qu'elle éprouve le besoin, à la fin du spectacle, de justifier sa démarche, de s'ériger en nana super cool et super ouverte qui veut "lutter contre les préjugés par le biais de l'humour" et s'ouvrir sur les autres, "rencontrer des gens qui ne sont pas des BBB", pour "essayer de comprendre". Elle excelle quand elle se moque, elle s'égare parfois quand elle se fait bisounours. On a compris qu'elle était une chouette fille, consciente de son privilège d'être blanche et bien née mais on l'aime et elle nous fait rire lorsqu'elle garde son côté culottée et grande gueule.
Sandrine Blanchard
Océanerosemarie dans Chatons violents, mis en scène par Mikaël Chirinian, tous les mardis et mercredis à 20 heures, puis, à partir du 2 avril, du jeudi au samedi à 21 h 30 à la Comédie des Boulevards, 39, rue du Sentier, 75002 Paris. Réservations : 01 42 36 85 24.